Sur Mars, la pression n'atteint même
pas 1 % de la pression atmosphérique terrestre.Cette mince
atmosphère n'a pas pu provoquer d'effet de serre comme sur la
Terre ou sur Vénus, de sorte que la température moyenne y est de
-60 °C.
" Autrefois, dit Stephen Clifford,
l'eau y était probablement abondante, car les signes d'érosion
sont nombreux. " Des canyons, des vallées sinueuses, des
lits de rivières asséchées ponctuent maintenant le paysage
martien. Ces fameux " canaux " ont d'ailleurs nourri
l'imaginaire des écrivains et des scientifiques pendant
longtemps. Au tournant du siècle, l'Américain Percival Lowell,
le plus ardent canaliste,décrivait ces canaux comme un système
artificiel amenant l'eau des calottes glaciaires aux Martiens
assoiffés des plaines désertiques...
Aujourd'hui, grâce aux missions
américaines Viking en 1976, Pathfinder en 1997 et Mars Global
Surveyor,actuellement en orbite, on en sait un peu plus. Les
clichés pris sur le terrain ont révélé des dépôts
alluvionnaires et des îlots en forme de larme, orientés dans le
sens de la pente du terrain, signes indéniables de la présence
d'un élément liquide. On croit que l'époque " humide
" de Mars fut de courte durée et qu'elle remonte à la prime
jeunesse de la planète. Les canaux d'érosion auraient été
créés il y a près de 4 milliards d'années, alors que Mars
n'était encore qu'un poupon de 500 millions d'années.
Et toute cette eau aurait disparu ?
" Nous croyons que la majeure partie
est toujours là, sous la surface ", dit Stephen
Clifford.Sous forme de glace mêlée aux minéraux et peut-être
sous forme liquide, à des profondeurs plus importantes, là où
règne une certaine chaleur.
Les calottes glaciaires, situées aux deux
pôles, contiennent aussi des quantités importantes d'eau et de
gaz carbonique gelés de même que l'atmosphère, sous forme de
cristaux de glace. D'après le chercheur, l'eau de ces divers
réservoirs correspondrait à une couche de 500 à 1 000 mètres
d'épaisseur si elle était répandue uniformément sur la surface
martienne.
Passé Mars, les prochains points d'eau se
trouvent sur Cezanne, Zappafrank, Mr. Spock et leurs très
nombreux compagnons de la ceinture d'astéroïdes située entre
Mars et Jupiter. Ce véritable billard cosmique compte des
centaines de milliers d'astéroïdes, dont la masse cumulée est
pourtant inférieure à celle de la Lune. On connaît bien les
plus gros, dont Cérès (933 km de diamètre) et 26 autres
possédant un diamètre de plus de 200 km.
Cependant, la plupart sont petits - il font
environ un kilomètre de diamètre - et sont invisibles de la
Terre. Il s'agit probablement de " déchets " de la
formation du Système solaire qui n'ont pas pu s'agglomérer en
planète. Les plus éloignés du Soleil, près de Jupiter, ont pu
conserver un peu d'eau mêlée au minéral (produisant des
argiles), mais aussi quelques molécules d'eau primordiale gelée.
" Cela nous indique que l'eau était présente dans la
Nébuleuse dès le début ", précise Stephen Clifford.
Un monde fascinant et très différent
apparaît après la ceinture d'astéroïdes : celui des planètes
géantes. Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune sont d'énormes
boules de gaz (de 4 à 12 fois plus grosses que la Terre),
composées principalement d'hydrogène et d'hélium, mais aussi
d'eau, de méthane et d'ammoniac.Ces planètes n'ont pas de
surface solide, les gaz qui les composent sont simplement de plus
en plus denses à mesure qu'on approche de l'important noyau de
roches fondues. Elles sont toutes entourées d'anneaux et d'un
cortège de satellites.
Pourquoi ces planètes sont-elles si
différentes ?
" Principalement en raison de la
température ", dit Stephen Clifford.Les substances très
volatiles (eau, méthane, ammoniac, etc.) ont été chassées des
environs immédiats du Soleil vers les régions extérieures, plus
froides, de la Nébuleuse solaire. On suppose également que le
noyau massif des géantes gazeuses a pu capturer de grands nuages
d'hydrogène et d'hélium, ce que les petites planètes de type
terrestre n'ont pas réussi à faire. Et leurs satellites ? Ils
sont généralement constitués d'un mélange de matériau rocheux
et de diverses glaces (d'ammoniac, de méthane,mais surtout
d'eau). Plusieurs contiennent d'ailleurs près de 50 % de glace
d'eau et certains, davantage. Seulement 5 lunes sur 60 ont une
atmosphère détectable.
" Les interactions très variées avec
la planète mère ont eu une influence déterminante sur
l'évolution de ces satellites en général et sur leur capacité
à retenir l'eau en particulier ", explique Stephen Clifford.
Grâce aux observations du satellite ISO, on
peut poursuivre encore plus loin notre quête d'eau. " ISO a
trouvé de l'eau dans toutes les classes d'objets, dit Martin
Kessler, de la Station de suivi des satellites de l'Agence
spatiale européenne, à Villafranca, en Espagne. Et nous sommes
surpris de voir à quel point cela a été facile !".
Il en a d'abord trouvé dans l'espace ! Des
cristaux de glace voguent à la dérive dans le milieu
interstellaire froid, mais aussi dans les nuages moléculaires
situés dans les bras spiraux de notre Galaxie. Il y en a aussi,
à des concentrations plus élevées, autour des étoiles mortes,
dans les rémanents de supernova de même que dans les régions de
formation d'étoiles, sous forme de vapeur cette fois.Et il y en a
encore à l'extérieur de notre Galaxie, dans la galaxie active
Arp 220, par exemple, qui se trouve à 250 millions
d'années-lumière de nous, dans la constellation du Serpent.
Mais la plus spectaculaire découverte s'est
faite dans la nébuleuse d'Orion. Dans cette région de formation
d'étoiles, située à 1 500 années-lumière de la Terre, on a
détecté de la vapeur d'eau dans les nuages moléculaires se
trouvant autour des jeunes étoiles en formation. On suppose que
l'onde de choc, causée par l'effondrement du nuage de gaz en
étoile, comprime et chauffe suffisamment l'oxygène présent dans
le gaz interstellaire pour créer de la vapeur d'eau. " On
voit de l'eau se former à un rythme absolument phénoménal !
", dit Martin Kessler. En fait, cette source générerait en
une journée assez de molécules d'eau pour remplir 60 fois les
océans de la Terre !
" L'eau présente dans le Système
solaire a probablement été produite dans une 'usine à vapeur
d'eau' comme Orion ", explique David Neufeld, membre de
l'équipe ISO. En s'éloignant de la source de chaleur, la vapeur
d'eau refroidit, puis gèle en petits grains de glace,capturant
quelques poussières au passage. Progressivement, un nuage de
poussières et de grains de glace se forme et, s'il est assez
massif, se comprime en forme de disque en tournant de plus en plus
vite. Les grains se condensent par attraction gravitationnelle
pour former éventuellement des planétoïdes, qui
s'aggloméreront à leur tour pour former les planètes d'un
système comme le nôtre.
Et comment explique-t-on les océans à la
surface de la Terre ? À mesure que la matièrede la Nébuleuse
solaire se condense et s'amalgame, elle se réchauffe en raison
des chocs physiques ou, plus tard, de la désintégration
d'éléments radioactifs au sein des planètes. Les gaz légers et
la vapeur d'eau sont ainsi libérés et trouvent leur chemin
jusqu'à la surface par dégazage, par la voie des éruptions
volcaniques. Si la gravité de la planète est suffisante, ces gaz
peuvent constituer une atmosphère plus ou moins épaisse.
Finalement, si la température et la pression sur la planète sont
appropriées, la vapeur d'eau peut se condenser et former des
océans.
" Une partie importante de l'eau sur
les planètes provient des comètes ", ajoute Stephen
Clifford. Les collisions avec des comètes ou des astéroïdes
étaient beaucoup plus fréquentes durant la jeunesse du Système
solaire. La fameuse collision de la comète Shoemaker-Levy 9 avec
Jupiter, en juillet 1994, fut la énième édition d'un
événement jadis courant : la surface de la Lune, par exemple,
témoignera éternellement de cette époque tumultueuse. " Il
y a toujours un débat sur la proportion d'eau apportée par les
impacts cométaires et celle obtenue par dégazage, souligne le
chercheur.
Mais il est certain que les deux processus
ont eu lieu. " Mais qu'est-ce que les chercheurs lui trouvent
donc à cette petite molécule pour consacrer autant d'efforts à
la chercher ?
" L'eau est d'abord étudiée parce
qu'elle joue un rôle important dans les réactions physiques
", explique Martin Kessler. Par exemple, dans les régions de
formation d'étoiles comme Orion, là où la poussière abondante
bloque la radiation, l'eau sert de voie d'évacuation à cette
énergie, ce qui permet au processus de formation d'étoiles de se
poursuivre. L'eau est aussi une bonne sonde pour étudier les
réactions chimiques et physiques qui ont lieu à basse
température.
Mais l'eau, c'est aussi la vie. L'eau sous
forme liquide est un solvant qui facilite les réactions
biochimiques propres à la vie, permettant l'élimination des
déchets et l'approvisionnement en substances vitales.
Les exobiologistes considèrent l'eau
liquide comme nécessaire à l'émergence de la vie. En somme,
pour trouver la vie dans l'Univers,il faut suivre la piste de
l'eau. Mais, pour cela, il faudra attendre la prochaine
génération de télescopes, qui nous permettra d'étudier les
planètes extrasolaires.
Le plus ambitieux de ces télescopes, le
Terrestrial Planet Finder, est un monumental interféromètre en
orbite, qui sera mis en chantier vers 2005. Grand comme un terrain
de football, il sera constitué de quatre grands miroirs
précisément alignés, grâce auxquels la lumière aveuglante de
l'étoile pourra être annulée, ce qui permettra de capter la
très faible lumière infrarouge d'éventuelles planètes.
L'étude systématique des quelques centaines d'étoiles les plus
proches, de leur " zone habitable " plus précisément,
pourrait révéler plusieurs planètes au climat tempéré. On
cherchera alors la signature de la vie dans la lumière infrarouge
émise par ces planètes : des molécules d'eau, de bioxyde de
carbone et d'ozone (un signe d'oxygène abondant).
" On le sait maintenant : l'eau est
partout dans l'Univers. Il suffisait seulement de bien regarder !
" dit Martin Kessler à propos de la mission ISO. En
serait-il de même pour la vie ?